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Un inconnu dans ma maison

J'ai laissé sur la table de la cuisine une pomme à moitié épluchée, dans la machine à laver le linge à étendre, dans ma chambre mon lit défait, et, avant que le soleil ne soit trop chaud, je suis sortie... J'ai marché le long de la plage, jusqu'au petit phare rouge, puis j'ai fait le tour du port, à pas lents. J'ai respiré profondément. J'ai regardé les maisons colorées en me disant qu'un jour j'aimerais bien moi aussi avoir une maison avec un petit jardin derrière. Je me suis dit que c'était pas mal quand même de pouvoir se balader un peu et respirer... Il commençait à faire chaud. Alors, tranquillement, je suis revenue vers chez moi. J'ai monté les 2 étages à pieds. J'ai relevé mes lunettes de soleil sur ma tête, cherché mes clés, ouvert la porte. L'appartement était silencieux. Pourtant, il était toujours là. Il s'est rappelé à moi quand j'ai tourné la clé dans la serrure. Mon bras m'a fait mal. Il m'a fait une grimace quand je suis passée devant le miroir de l'entrée. La cicatrice sous mon aisselle droite est encore bien visible. Il était encore là. Il y a un inconnu dans maison, dans ma vie, dans mon corps. Il est là, planqué, je le sais. Je le sais depuis le 1er juillet dernier, depuis que je me suis assise en face du médecin, qu'il a baissé la tête, a cherché ses mots, et a dit : "Nous avons les résultats de la biopsie. Malheureusement..." Malheureusement... un inconnu est entré dans ma maison et s'y est installé. J'ai un cancer du sein.

CA TOMBE BIEN, ON RENTRE EN VOITURE

Chose promise, chose due.

Les effets attendus sont bien au rendez-vous 24 petites heures après la séance de chimio.
Epuisement, nausées, perte de goût, estomac en vrac, avec l'impression d'avoir léché du plâtre, bref... la totale ! Jouissif !

Cependant, rien que du connu, du déjà-vu finalement !

 

Mais voilà, en pleine nuit, allongée dans mon lit, j'apprends, à mon corps défendant, que la chimio n'aime pas la routine, le planplan, l'ennui... toujours encline à la surprise, à la nouveauté, à l'inattendu !

 

5h du matin :

Je me retourne en dormant, mon lit se soulève et me jette à terre. Les murs se mettent à bouger. Et pourtant, je suis toujours allongée, la tête sur l'oreiller. Je jette un coup d'oeil à J., il dort paisiblement. Il n'a rien senti.

Je me retourne de nouveau pour essayer de me rendormir. De nouveau, mon lit chavire, emporté par une houle furieuse.

Qu'est-ce qui m'arrive ?

Je ferme les yeux, ce n'est pas mieux. Je les ouvre, c'est pire.

C'est la panique.

C'est sur la liste, ça, les vertiges ? C'était pas prévu au programme, non. Personne ne m'a rien dit en tout cas.

Qu'est-ce que je fais ?

Je réveille J.

 

5h30 :

- Je ne sais pas ce qui m'arrive ? Ça m'a réveillée ! Tu te rends compte. T'as déjà été réveillé toi par des vertiges ?

- Tu veux qu'on aille aux urgences ?

- J'ai peur !

- On va aux urgences.

 

6h30 :

On m'a donné un fauteuil roulant. Je me sens mal. Je suis incapable de me tenir debout. Une femme de ménage nettoie à l'eau de javel le sol de la salle du hall d'attente. On attend. La femme se rapproche. On se réfugie de l'autre côté de la pièce. 20 min qu'on est là. Il n'y a presque personne : deux hommes qui étaient là avant nous et un couple qui vient d'arriver. Les minutes passent... Mais qu'est-ce qu'ils foutent ? Je me sens mal, je suis épuisée. Pourquoi on les appelle eux ?! ("Eux", c'est le couple.) Qu'est-ce qu'ils ont de plus grave, qui justifie qu'on les fasse passer et que moi, on me laisse là, comme une merde, dans mon fauteuil et dans les odeurs écoeurantes de javel. Qui je dois supplier pour qu'on s'occupe de moi ? Il n'y personne, bordel ?!

 

7h15 :

Deux internes me reçoivent enfin. Ca fait plus de 2h que la tête me tourne. Je suis exténuée. J'explique tant bien que mal le tourbillon nocturne. Ils ont pas l'air de savoir vraiment ce qui m'arrive. Impossible de savoir si c'est un effet secondaire de la chimio. L'air dubitatif, ils m'envoient faire des analyses.

 

8h :

Un coton scotché au creux du bras droit, j'attends, toujours assise dans mon fauteuil à roulettes. On m'a dit de rester là, dans une salle plus petite, à côté des urgences, les résultats de la prise de sang.

Il y a plus de monde maintenant. Normal, la journée a commencé.

J'aimerais m'allonger. Je tombe d'épuisement. Même assise, j'ai du mal à tenir.

 

- J., por favor, demande s'ils ont un lit pour moi. J'en peux plus.

 

Les infirmiers, aide-soigants, médecins, administratifs défilent à la machine à café. Ils commencent leur journée. Indifférents.

 

J. revient, bredouille.

- Rien. Personne. T'inquiète pas. Ils vont bien finir par nous appeler.

 

C'est interminable. Je ne sais même plus si j'ai encore des vertiges ou si c'est la fatigue qui m'empêche de maintenir ma tête droite. Je veux rentrer à la maison ! Je suis à bout de force. Personne ne vient. Personne n'appelle. Il n'y a personne... Je voudrais juste m'allonger...

 

J. finit par choper une infirmière au vol. J'éclate en sanglots :

- Donnez-moi juste un lit, n'importe quoi, n'importe où, j'm'en fous. Dans le couloir, dans les chiottes, juste un lit, un brancard, un tapis au sol... je voudrais juste m'allonger... Ma tête est lourde, vous comprenez ? Je n'ai plus de force... je voudrais juste m'allonger...

- Vous pouvez encore tenir 5 min ? Le docteur va vous recevoir tout de suite.

Reprise des sanglots.

 

9h30 :

Un des deux internes est encore là. Mais cette fois, c'est un résident qui me reçoit.

Il vient de prendre son service, je suppose.

Je dois réexpliquer ce qui m'arrive... mon espagnol est de plus en plus approximatif. Je ne pense qu'à la table d'auscultation à ma gauche... je voudrais juste m'allonger.

- A priori, rien de grave. Vos analyses sont au top... les vertiges ? Oui, bof, on sait pas trop. Non, c'est pas la chimio. On va vous donner un petit calmant. Vous voulez rester en observation... pour vous rassurer ?

- J'en sais rien. J'en peux plus. Si vous voulez.

- Oh, c'est pour vous, surtout...

- Je voudrais juste m'allonger

 

10h :

Faut toujours faire gaffe avec ce que l'on désire...

Je suis allongée... dans un lit aux urgences. J. n'a pas eu le droit de m'accompagner. Il attend dehors. À 3 mètres de moi, un cinglé hurle pour avoir un verre d'eau. On le lui refuse. Il gueule plus fort. On ne peut pas lui donner d'eau : il vomit ! Je suis tétanisée. C'est sûr, il va se lever, et entre deux vomissements, il va tous nous buter !

- Faut pas vous inquiéter. Il n'est pas dangereux. On le connaît bien.

 

J'veux plus être en observation. J'veux rentrer chez moi. Mais je suis attachée au goutte à goutte qu'on m'a fixé pour tenter de calmer le mal de tête qui s'est installé au fil de l'attente. Prise au piège.

 

Et le taré, qui n'arrête pas de vociférer. Et le goutte à goutte, qui semble bloqué...

 

Je suis allongée, mais je ne peux pas dormir. J'ai refusé les tranquilisants. Je veux pouvoir partir dès que je me sentirai mieux.

Deux autres médecins passent me voir, me demandent comment je sens. Ca va mieux. Je crois. Ils repartent.

Le cinglé insulte les infirmières qui continuent calmement leur travail.

 

12h :

Finalement, on me trouve mieux. Je vais pouvoir rentrer chez moi. Je me lève, la tête me tourne encore un peu. Bouche cousue. "Oui, oui, ça va". Je veux partir d'ici.

Je sors enfin, poussée dans un fauteuil jusqu'à la porte. Je ne veux plus jamais revenir ici.

 

Je respire enfin un peu d'air frais. Qu'est-ce qui m'est arrivé ? Je ne sais toujours pas. La chimio. ne donne pas de vertiges, on m'a dit... alors ?

Si ça recommence, surtout que je n'hésite pas à revenir...

 

Dans ma poche, une ordonnance pour un médoc. contre le mal des transports.

Ça tombe bien, on rentre en voiture !

CA TOMBE BIEN, ON RENTRE EN VOITURE
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