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Un inconnu dans ma maison

J'ai laissé sur la table de la cuisine une pomme à moitié épluchée, dans la machine à laver le linge à étendre, dans ma chambre mon lit défait, et, avant que le soleil ne soit trop chaud, je suis sortie... J'ai marché le long de la plage, jusqu'au petit phare rouge, puis j'ai fait le tour du port, à pas lents. J'ai respiré profondément. J'ai regardé les maisons colorées en me disant qu'un jour j'aimerais bien moi aussi avoir une maison avec un petit jardin derrière. Je me suis dit que c'était pas mal quand même de pouvoir se balader un peu et respirer... Il commençait à faire chaud. Alors, tranquillement, je suis revenue vers chez moi. J'ai monté les 2 étages à pieds. J'ai relevé mes lunettes de soleil sur ma tête, cherché mes clés, ouvert la porte. L'appartement était silencieux. Pourtant, il était toujours là. Il s'est rappelé à moi quand j'ai tourné la clé dans la serrure. Mon bras m'a fait mal. Il m'a fait une grimace quand je suis passée devant le miroir de l'entrée. La cicatrice sous mon aisselle droite est encore bien visible. Il était encore là. Il y a un inconnu dans maison, dans ma vie, dans mon corps. Il est là, planqué, je le sais. Je le sais depuis le 1er juillet dernier, depuis que je me suis assise en face du médecin, qu'il a baissé la tête, a cherché ses mots, et a dit : "Nous avons les résultats de la biopsie. Malheureusement..." Malheureusement... un inconnu est entré dans ma maison et s'y est installé. J'ai un cancer du sein.

ICE BUCKET

ICE BUCKET

D'ABORD ON PREND UN SEAU

Commençons par le début, pour faire plaisir à La Palice, histoire de raccrocher les wagons, pour continuer par la suite.

 

Bah... disons que... ça a commencé assez banalement, ma foi.
Un soir de juin dernier, allongée dans mon lit, je donne le sein à ma fille. Je sais, elle a bientôt 3 ans, il serait temps d'arrêter. Mais quoi, grâce à ça, elle s'endort facilement, tranquille, dans les bras de sa maman. C'est bon pour sa santé, et la mienne ! Tout le monde sait que donner le sein plus de 6 mois protège contre le cancer de la zone concernée !

Ce soir de juin, donc, ma fille s'endort, repue et heureuse. 
Au moment de remettre les choses à leur place, je sens sur le haut de mon sein droit comme un truc bizarre. Je pourrais jurer que ça n'y était pas même encore hier. Je les tripote assez en ce moment pour connaître par coeur mes nénés (c'est pour éviter les répétitions) .

Bizarre, oui. Pas normal. C'est dur...
Ça doit encore bloquer au niveau des canalisations ! J'ai fait une petite infection cet hiver. Ah ! les joies de l'allaitement ! Ça m'a fait un mal de chien.
Ce soir, ça fait pas mal. C'est peut-être... pff, j'sais pas ce que ça peut être... en tout cas, ça peut pas être un cancer... j'allaite !


Mais bon, demain, je prends rendez-vous chez la gynéco. J'avais de toute façon prévu de le faire, vu que les anglais débarquent n'importe quand en ce moment (z'en sont épuisants) et que je ne l'ai pas vue (ma gynéco) depuis au mois deux ans. Ça craint.
Je lui parlerai de mon truc bizarre au sein, histoire qu'elle me fasse un palper-rouler en bonne et due forme et surtout qu'elle me dise si les débarquements incessants de mes amis d'outre-manche sont le signe d'une ménopause précoce ou quoi ! (c'est vrai, c'est chiant à la fin !)

PUIS ON PREND DES GLAÇONS

Rendez-vous pris, dans une semaine.

En attendant... je me touche les seins !

Comment est-il possible que je ne l'aie pas senti avant ?

Mais c'est que c'est sorti de nulle part, comme un lapin de magicien. Tu parles d'un tour !

Ça peut pas être malin, c'est un petit lapin. Il va retourner fissa dans son chapeau et on en parle plus.

Ça ne me fait pas mal. C'est sûrement rien de grave...

 

Tiens, une semaine est passée.

Me voilà, pattes en l'air, les pieds dans des étriers sans jamais avoir pris de cours d'équitation.

- Alors ? C'est la ménopause, c'est ça ? Le stress ? Non, non, suis pas enceinte, madame, c'est juste ma jupe qui m'boudine...

Réponse de ma gynéco : " ¡ todo va bien !". Pas de problème. Les Bristish sont capricieux en ce moment, mais ça ne va pas durer, ils vont se calmer... vous savez, le flegme britannique...

 

Ok. Me voilà rassurée. Côté front sud : R.A.S. Va juste falloir s'détendre un peu.

 

Et, côté du front nord ?

- Ah ! Au fait, avant que j'oublie, vous pourriez j'ter un oeil à mon sein droit. Je sens comme une boule, là.

- Vous allaitez encore ?

- Euh... oui. Ça fait 34 mois... Mais, demain j'arrête.

- Oui, effectivement, y'a une boule.

- (si je te le dis !)

- J'vais faire une petite ponction, voir si les canalisations sont pas bouchées par du lait condensé. (ce dialogue est une reconstruction approximative du dialogue réel, vulgarisé pour le grand public) Vous inquiètez pas, ça fait pas mal.

- Non, non. Je ne m'inquète pas. Qui s'inquièterait face à une aiguille de 10 cm qui va lui transpercer le sein ?... J'peux regarder de l'autre côté.

- Arghh !

- Arghh ?

- Ça rentre pas dans la boule. Elle est un peu dure... Ah ! Ça y est !... bon...

- Bon ?

- Bon... ben... y'a pas de lait qui sort. J'vais vous envoyer faire une écho et une mammo. Après on fera une biopsie. Vous pouvez vous rhabille. Je fais les papiers pour les examens.

- Hein ? Quoi ? Une mammographie ? Mais j'ai pas l'âge ! C'est pour les vieilles ! celles d'au moins... euh... 50 ans ! (désolée), celles qui n'allaitent pas, celles où y'a un risque !

- Bah ? Pourquoi vous pleurez ?

- J'ai peur... la mammo., la biopsie... vous savez...

- Faut pas. C'est juste pour s'assurer. Et puis, si c'est ça, ça se soigne très bien aujourd'hui.

- S'assurer de quoi ? J'en ai rien à foutre qu'on soigne ÇA très bien aujourd'hui. Mauvaise réponse Gygy. Fallait dire : Vous inquiètez pas. C'est pas ÇA. Ça n'a même rien à voir avec ÇA, voyons ! À votre âge... vous allaitez... y'a aucun risque que ce soit ÇA.

 

Je sors.

J'ai oublié de payer.

 
ENSUITE, ON MET LES GLAÇONS DANS LE SEAU

Et une semaine de plus d'attente...

Une semaine d'angoisse... de questions à google "j'ai une boule dans le sein. C'est grave ?"... de réponses insatisfaisantes "p'têt bin qu'si ou p'têt bin qu'non"... et puis encore l'angoisse, l'envie d'avoir une réponse, de savoir, d'être fixée, les pensées positives, les pensées négatives, les "surtout ne pas y penser", les "tu verras, je suis sûr que ce n'est rien"...

Et, puis arrive le jour du rendez-vous.

Tout est sous contrôle, sauf que l'hôpital est un immense labirynthe, sauf que j'ai mal noté le nom de la tour dans laquelle je dois me rende, sauf qu'on trouve pas ce putain de bureau où on doit me donner ce putain de papier qui m'ouvre les portes de ce putain de service de mammographie, sauf que je finis par pleurer au nez d'une infirmière alpaguée dans un couloir sous motif qu'avec son ruban rose accroché à la blouse, elle va bien savoir, elle, me dire dans quelle tour est ce putain de bureau où on doit me doit ce put....

Tout est sous contrôle.

2 heures plus tard... J. attend dans le couloir et moi je suis allongée dans une petite pièce, les nénés à l'air, autour de moi, 3 infirmières au sourire aimable (compatissant ?) et la radiologue, une jeune brunette qui donne l'impression de faire son stage de 3ème.

Echographie... repérages, mesures, photos... hum, effectivement, y'a un truc bizarre là.

Mammographie... pose ton sein ici (ici, tout le monde tutoie tout le monde), mets ta main là, le ventre en avant, le cul en arrière, lève un peu plus le bras, c'est bon, je serre, ne bouge plus (euh... j'vois pas comment, à part en embarquant la machine accorchée au téton), et maintenant l'aisselle ! et, on recommence pour l'autre côté, clic clac, c'est dans la boite.

- C'est bon, tu peux te rhabiller, cariño.

- Euh ? On fait pas la biopsie ?

- On va te donner un rendez-vous.

- Ah, bon ? On m'a dit que je ferai tout le même jour. J'veux ma biopsie, j'veux ma biopsie, j'veux ma biopsie. Ouiiin !

- On va voir si c'est possible. Attends dans le couloir. Le médecin regarde les images et on te dit...

Une demi-heure...

- Rosa Rosam ?

- Oui, c'est moi.

- C'est bon. On va faire la biopsie tout de suite.

Moi, j'ai dit "ouf !".

J., toujours assis à attendre dans le couloir, a pensé "ça pue !" (prononcez [sa pou])

Biopsie... Me revoilà sur la table, sein droit offert.

Cette fois, on passe aux choses sérieuses. Champ opéraoire. Bétadine et veux-tu en voilà. Petits tissus verts. Elle est plutôt grosse l'aiguille dis donc.
J'espère que la petite stagiaire de 3ème a son diplôme ! Je jette un oeil sur sa blouse, y'a marqué "medico", ça va.

- Attention ! Ca va faire clac clac clac clac.

Clac, clac, clac, clac.

Voilà ! Un petit pansement, un peu de glace pendant 10 min. Rendez-vous mardi de la semaine prochaine pour les résultats.

¡Hasta luego ! ¡Que te vaya bien !

Ah, ah ! Oui, c'est ça, j'espère que ça ira... 

POUR FINIR, ON SE RENVERSE LE SEAU SUR LA TÊTE

Et c'est reparti !

Attente, angoisse, questions, google, re-questions, re-angoisse... c'est une tumeur ! Un kiste ! Un rien du tout ! Oui, c'est ça, c'est rien du tout ! parce que le contraire n'est pas possible. Comment ça pourrait m'arriver à moi ? Une tumeur ? Un cancer ? Ah ah ! Laissez-moi rire ! Un cancer ? Ce serait vraiment la bonne blague.

Pourtant... j'ai un mauvais présentiment...

 

Et puis :

On est assis dans le couloir. Mon numéro de rendez-vous à la main, je fixe l'écran qui m'annoncera que c'est mon tour et que le médecin m'attend derrière la porte 403. Les dernières minutes sont interminables. Je n'ose pas penser. D'ailleurs, je ne suis pas là. Je ne suis pas assise ici. Je ne suis pas en train d'attendre qu'on m'appelle. C'est absurde.

Je ne suis pas là. Je ne suis pas là. Je ne sui... c'est mon tour !

Je ne sais plus si c'est moi qui ai ouvert la porte. Je me suis assise sur la chaise de gauche, J. Sur la chaise de droite. Le médecin, blouse blanche, l'air sérieux derrière son bureau, derrière son ordinateur, derrière ses lunettes... il fixe l'écran, tapote sur son clavier, concentré... qu'est-ce qu'il cherche ? Soupir... Silence.

Nous avons les résultats de votre biopsie... Il baisse les yeux... Malheureusement...

Puis de bribes de mots, des lambeaux de phrases... carcinome... sein... infiltrant... calcifications... on va l'opérer... chimio... ne vous inquiètez pas... oncologue... c'est normal de pleurer...

Je regarde J. Il me sert la main, fort. Il ne me l'a jamais serrée aussi fort.

 

Je ne sais pas combien de temps a passé. 

Je suis maintenant devant l'oncologue. Première fois que j'entends ce mot.

- On va commencer par 8 séances de chimiothérapie, une fois toute les 3 semaines pour réduire la tumeur et pouvoir l'enlever tout en conservant le sein.

Ah ?... Super.

Je vais perdre mes cheveux ?

- Oui.

- Il y a un risque pour ma vie ?

- Non. On va vous soigner.

La question des cheveux est peut-être venue en second... quoique.

- On commence quand ?

- Le plus tôt sera le mieux.

- Vous pouvez voir un psychologue si vous le désirez.

Pourquoi faire ?

 

On sort. Voilà. J'ai un cancer du sein.

- Elle a l'air sympa l'oncologue. T'as vu, elle aussi, elle a une petite fille de 3 ans...

- Tu vois, Rosa, s'ils parlent de chirurgie conservatrice, c'est bon signe... Bon, viens, faut qu'on aille prendre les rendez-vous pour les examens préliminaires.

- Ah ?... Super.

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