14 Novembre 2014
Allongée comme la Reine mère dans mon fauteuil inclinable, je reçois pour la 3ème fois les produits salvateurs (et destructeurs, à la fois, la médecine est blagueuse).
À ma droite, le père. À ma gauche, J.
Drôle de trinité.
Et quelle famille de bras cassés !
En quelques mois, AVC pour mon père, cancer pour moi ! Et on dit que la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit !
Il y a 8 mois, c'est moi qui avait fait les 1500 bornes qui nous séparent pour rendre visite à mon père, hospitalisé après son attaque.
Aujourd'hui, à peine debout, et après 24h de train, l'avion lui étant encore interdit, le voilà à son tour à mon chevet.
Je me rends compte du soulagement que ça lui procure de pouvoir être là et de constater par lui-même si je vais bien ou non. Je comprends la satisfaction de pouvoir faire quelque chose pour moi. Mais je sais ce qu'il lui en coûte, et e vois la fatigue provoquée par le voyage, dans son état.
Aussi, je ressens à la fois de la reconnaisance et de la culpablité.
Je saaaiiis... je n'ai pas à me sentir coupable. Mais, c'est un sentiment difficile à gérer.
A dire vrai, de victime d'un cancer, on passe vite (enfin, moi, je personnellement) à coupable...
D'abord, coupable de ce qui m'arrive. Qu'est-ce que j'ai fait ou n'ai pas fait pour provoquer ça ? Qu'est ce que j'ai mangé ? Bu ? Respiré ? Combien d'heures de sport j'aurais dû faire ? Etc.
Cette culpabilité-là passe assez vite quand on prend conscience qu'il n'y a aucun moyen d'éviter tous les risques. On ne peut pas fermer constamment toutes les portes de sa maison pour empêcher les inconnus d'entrer.
Alors, vient la culpabilité de ce qu'on impose à nos proches, l'inquétude, les soins, notre humeur changeante, notre propre angoisse...
Comment dire à mon père, qui vit à plus d'un millier de kilomètres, qui vient de perdre son frère d'un cancer, qui est en train de se remettre (par miracle) d'un AVC, comment lui dire (par skype, parce que l'opération est déjà prévue et que je ne peut pas voyager) : "Papa, faut pas t'inquiéter, hein, mais on m'a trouvé une tumeur au sein droit... c'est cancéreux... Mais, t'inquète pas surtout" ? Comment lui dire ? Comment le voir venir m'épauler, tellement fatigué qu'il est, sans culpabiliser ?
Mea culpa...
Pour ma fille aussi... qui a trois ans et dont je ne peux plus m'occuper à temps plein, qui reste une semaine chez ses grands-parents, à chaque chimio., parce que sa maman, qu'elle ne lâche d'habitude pas d'une semelle, est trop mal en point.
Mea culpa...
Pour ma soeur, qui a déjà passé tant d'épreuves, de pertes...
Mea culpa, mea culpa...
Pour J., avec qui on a tout pour être heureux... et puis pas arrive la putada gorda ! (trad. : "la grosse merde !") Et, la putada vient de moi ! Tout s'arrête, tout est suspendu... à mon sein (aïe !), à cet inconnu entré par effraction de ma maison, dans notre maison...
Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa...
P.S. : Putain de société judéo-chrétienne !