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Un inconnu dans ma maison

J'ai laissé sur la table de la cuisine une pomme à moitié épluchée, dans la machine à laver le linge à étendre, dans ma chambre mon lit défait, et, avant que le soleil ne soit trop chaud, je suis sortie... J'ai marché le long de la plage, jusqu'au petit phare rouge, puis j'ai fait le tour du port, à pas lents. J'ai respiré profondément. J'ai regardé les maisons colorées en me disant qu'un jour j'aimerais bien moi aussi avoir une maison avec un petit jardin derrière. Je me suis dit que c'était pas mal quand même de pouvoir se balader un peu et respirer... Il commençait à faire chaud. Alors, tranquillement, je suis revenue vers chez moi. J'ai monté les 2 étages à pieds. J'ai relevé mes lunettes de soleil sur ma tête, cherché mes clés, ouvert la porte. L'appartement était silencieux. Pourtant, il était toujours là. Il s'est rappelé à moi quand j'ai tourné la clé dans la serrure. Mon bras m'a fait mal. Il m'a fait une grimace quand je suis passée devant le miroir de l'entrée. La cicatrice sous mon aisselle droite est encore bien visible. Il était encore là. Il y a un inconnu dans maison, dans ma vie, dans mon corps. Il est là, planqué, je le sais. Je le sais depuis le 1er juillet dernier, depuis que je me suis assise en face du médecin, qu'il a baissé la tête, a cherché ses mots, et a dit : "Nous avons les résultats de la biopsie. Malheureusement..." Malheureusement... un inconnu est entré dans ma maison et s'y est installé. J'ai un cancer du sein.

MEA CULPA

Allongée comme la Reine mère dans mon fauteuil inclinable, je reçois pour la 3ème fois les produits salvateurs (et destructeurs, à la fois, la médecine est blagueuse).

À ma droite, le père. À ma gauche, J.

Drôle de trinité.

 

Et quelle famille de bras cassés !

En quelques mois, AVC pour mon père, cancer pour moi ! Et on dit que la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit !

 

Il y a 8 mois, c'est moi qui avait fait les 1500 bornes qui nous séparent pour rendre visite à mon père, hospitalisé après son attaque.

Aujourd'hui, à peine debout, et après 24h de train, l'avion lui étant encore interdit, le voilà à son tour à mon chevet.

 

Je me rends compte du soulagement que ça lui procure de pouvoir être là et de constater par lui-même si je vais bien ou non. Je comprends la satisfaction de pouvoir faire quelque chose pour moi. Mais je sais ce qu'il lui en coûte, et e vois la fatigue provoquée par le voyage, dans son état.

Aussi, je ressens à la fois de la reconnaisance et de la culpablité.

 

Je saaaiiis... je n'ai pas à me sentir coupable. Mais, c'est un sentiment difficile à gérer.

A dire vrai, de victime d'un cancer, on passe vite (enfin, moi, je personnellement) à coupable...

D'abord, coupable de ce qui m'arrive. Qu'est-ce que j'ai fait ou n'ai pas fait pour provoquer ça ? Qu'est ce que j'ai mangé ? Bu ? Respiré ? Combien d'heures de sport j'aurais dû faire ? Etc.

Cette culpabilité-là passe assez vite quand on prend conscience qu'il n'y a aucun moyen d'éviter tous les risques. On ne peut pas fermer constamment toutes les portes de sa maison pour empêcher les inconnus d'entrer.

 

Alors, vient la culpabilité de ce qu'on impose à nos proches, l'inquétude, les soins, notre humeur changeante, notre propre angoisse...

 

Comment dire à mon père, qui vit à plus d'un millier de kilomètres, qui vient de perdre son frère d'un cancer, qui est en train de se remettre (par miracle) d'un AVC, comment lui dire (par skype, parce que l'opération est déjà prévue et que je ne peut pas voyager) : "Papa, faut pas t'inquiéter, hein, mais on m'a trouvé une tumeur au sein droit... c'est cancéreux... Mais, t'inquète pas surtout" ? Comment lui dire ? Comment le voir venir m'épauler, tellement fatigué qu'il est, sans culpabiliser ?

Mea culpa...

Pour ma fille aussi... qui a trois ans et dont je ne peux plus m'occuper à temps plein, qui reste une semaine chez ses grands-parents, à chaque chimio., parce que sa maman, qu'elle ne lâche d'habitude pas d'une semelle, est trop mal en point.

Mea culpa...

Pour ma soeur, qui a déjà passé tant d'épreuves, de pertes...

Mea culpa, mea culpa...

Pour J., avec qui on a tout pour être heureux... et puis pas arrive la putada gorda ! (trad. : "la grosse merde !") Et, la putada vient de moi ! Tout s'arrête, tout est suspendu... à mon sein (aïe !), à cet inconnu entré par effraction de ma maison, dans notre maison...

Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa...

 

 

P.S. : Putain de société judéo-chrétienne !

MEA CULPA
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L
C'est la faute à personne. Et les gens qui t'aiment sont heureux d'être là pour t'épauler, parce que tu le vaux bien !<br /> Et quand tu attrapes une méchante grippe, tu ne dis pas que c'est de ta faute ? Bon alors !<br /> N'hésite pas à demander de l'aide. La majorité des gens adore se sentir utile, les amis, les voisins. Tu as une très bonne excuse et tu renforceras les liens d'amitié ...
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V
que de similitude dans tout votre ressentie j'ai réussi à en parler à mes proches sachant que j'allais leur faire mal ce soir je me suis sentie moins seule merci
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